HOMMAGE A MED HONDO
Du jeudi 14 au dimanche 17 octobre, en coproduction avec le Mucem, Aflam et le Videodrome 2 proposaient un hommage au réalisateur Med Hondo, décédé à Paris en 2019. Projections de films, table ronde, interventions, installations vidéo… l’occasion de découvrir ou de redécouvrir une œuvre plus que jamais d’actualité.
Qui était Med Hondo ?
Né en 1936 en Mauritanie, descendant d’une famille d’esclaves affranchis, Med Hondo arrive à Marseille en 1958. Là commencent une carrière dans l’hôtellerie (il a été formé à l’école hôtelière de Rabat au Maroc), une prise de conscience politique et le développement d’une passion pour l’art dramatique et le cinéma.
Son premier long-métrage, Soleil Ô (titre d’un chant antillais sur la douleur des Noirs amenés du Dahomey aux Caraïbes, 1971), a été suivi des Bicots-nègres, vos voisins (1973). Bouleversant les codes du documentaire et portant un regard incisif sur le colonialisme, ces films très remarqués permettent à Med Hondo de poursuivre son travail.
Novateur, il effectue dans West Indies ou les nègres marrons de la liberté (1979) et Watani, un monde sans mal (1998) une originale symbiose du cinéma et du théâtre.
Il a également une carrière d’acteur et a fondé une troupe de théâtre dénommée Griot-Shango, dans le giron des acteurs africains et antillais installés à Paris dans les années 60 (Robert Liensol, Bachir Touré, Toto Bissainthe…). En 1968, il achève le scénario de Soleil Ô : l’histoire de la prise de conscience politique d’un immigré africain. Ainsi débute une grande aventure cinématographique. Récompensé et présenté dans des festivals internationaux de cinéma, il a réalisé au cours de ses 50 ans de carrière, 3 courts métrages et 9 longs-métrages. Pour financer la production de ses films, il s’est également distingué dans le doublage (entre autres, il a été la voix française régulière d’Eddie Murphy).
Explorant les thèmes de la colonisation, de la traite négrière, ou encore de la « Françafrique », ses films sont autant de réquisitoires contre les formes d’oppression subies par les peuples exploités, en particulier le peuple africain.
Cet événement proposé au Mucem et au Vidéodrome 2, fut le premier hommage rendu en France à ce « cinéaste rebelle », encore trop peu connu du public.
Marseille. L’hommage rendu à Med Hondo du 14 au 17 octobre 2021 a permis de (re)découvrir une partie de l’oeuvre restaurée du cinéaste mauritanien. Connu du grand public pour ses doublages de films US, ses réalisations sont autant de manifestes prônant la radicalité cinématographique. La puissance didactique décapante de sa mise en scène sonne encore et toujours le clairon de la lutte anti-raciste, anti-colonialiste et anti-capitaliste. L’occasion pour Aflam, co-organisateur de l’évènement avec le Vidéodrome 2 et Delphine Leccas, de confronter un jeune public à une oeuvre enracinée dans les années 70.
« J’ai choisi de faire des images par obligation et par nécessité. » résumait alors Med Hondo quelques années avant de disparaître à l’âge de 83 ans. « Je suis venu dans ce pays (NDLR la France) en tant que travailleur manuel, j’ai fait beaucoup de métiers, et j’ai été amené par la force des choses à aller au théâtre, à aller au cinéma, voire la télévision. Et il est très simple de constater que dans ces cinémas, dans ces émissions de télévision, l’homme que je suis était absent. Quand je dis Je, je veux dire Nous. Je veux dire d’abord des Mauritaniens, ensuite les Africains et enfin les Hommes du Tiers-Monde. » Depuis sa disparition en 2019, Med Hondo reçoit pour la première fois à titre posthume un hommage sous forme de rétrospective cinématographique. L’évènement organisé le temps d’un long weekend à Marseille débute ce jeudi matin par la rencontre au Vidéodrome 2 entre un jeune public et l’oeuvre du cinéaste.
La voix au cœur de l’oeuvre
« Comme vous le savez peut-être, Med Hondo a été un homme aux multi-jobs (diplômé en hôtellerie, serveur, dockeur…), qui s’est tourné vers le théâtre avant d’en arriver au cinéma, du fait, disait-il du plus grand impact de cet art sur le public par rapport au théâtre. Mais c’est aussi une voix qui a marqué notre enfance, une voix de doublage de films étrangers, souvent des films américains » expose Charlotte Deweerdt, programmatrice d’Aflam à la cinquantaine d’élèves fraichement installés dans les sièges du cinéma.
Dans la foulée, une série d’extraits de films doublés par Med Hondo sont diffusés dans la salle grâce à une capsule sonore réalisée par la documentariste Elina Charred.
Aussitôt les élèves reconnaissent les personnages doublés par le cinéaste : « c’est la voix de Shrek » « oui et y’a aussi Rafikii ! « Et aussi Bossa Noss dans Star Wars.. » . L’approche sonore créée immédiatement une relation intime avec le public. Comme un lien naturel et métaphorique qui relie l’oeuvre de Med Hondo. Doubleur pour le cinéma, Med Hondo a ainsi pu résoudre l’équation du financement de ses films : son salaire paiera le modeste matériel et les équipes qu’il sollicite pour la réalisation de ses films. Sa filmographie de quatorze titres construite sur cinquante années offre un visage protéiforme : cinéma direct, collages, fiction et théâtre se rencontrent, opérant une symbiose visuelle et dialectique. Une oeuvre d’où résonnent puissamment les slogans anti-coloniaux, anti-capitalistes… à l’instar de son long-métrage West Indies où les nègres marrons de la liberté (1979), l’un des chefs d’oeuvre Med Hondien.
« C’est un cinéma naturellement tournée vers les autres, un cinéma de partage qui veut agir sur le monde » expose à la salle Charlotte Deweerdt. Mais aussi des œuvres brûlots, accusatrices et ouvertement agressives à l’endroit du colonialisme et de ses racines racistes et capitalistes. Dans ces films, la présence d’hommes et de femmes africain-e-s maitrisant leur parole, maitres de leur narration, permet la fabrication d’un discours décolonial, tentative quasi-unique pour l’époque en métropole.
A cet égard, la projection du film documentaire Mes voisins tourné en 1973 est prévue ce matin-là. Le court-métrage documentaire de 30 minutes évoque la vie quotidienne et le racisme au travail subis par des travailleurs africains installés dans le foyer de la Croix-Nivert à Paris 15ème. Il est le fragment d’un projet de film plus important – Bicots-nègres : vos voisins (1973) avec lequel Med Hondo a souhaité explorer les politiques de logement des travailleurs immigrés à Paris. « C’est un film expérimental, un film documentaire prévient la programmatrice d’Aflam. Ne soyez pas étonnés, il débute par une séquence en arabe non sous-titrée. On en discutera ensuite.»
Perceptions
Une fois la lumière rallumée les réactions au film ne tardent pas. « C’est un peu long, ça a pris du temps » s’exprime immédiatement un collégien. Un autre le reprend de volée : « Oui peut être mais de quoi ça parle ? Des conditions de travail et de logement des immigrés. On peut voir que c’était pas des bonnes conditions (..) c’est insalubre et inhumain.»
« C’était intéressant au début, c’était une sorte d’interview au café, on voyait qu’il avait appris une version de la langue arabe – et que c’était pas sa langue. Et ça touche à l’expression des immigrés – quand il a décidé de parler de ses mauvaises conditions de travail et qu’il s’est révolté – il s’est fait mettre à la porte. En gros, quand t’es immigré, il faut te taire » poursuit une autre pendant qu’au fond de la salle on fustige ironiquement ces prises de parole : « elle parle trop.. ». « Parler à la caméra, c’est s’exposer et risquer de se faire expulser » continue-t-elle.
Une fois la première salve de réactions passée, un léger silence s’installe. Une lycéenne en profite pour réagir à la manière dont un homme interrogé sur sa vie en France est filmé. « Moi je trouve que c’est filmé bizarrement. On s’ennuie quand il parle – les zooms étaient trop poussés, ça m’a choqué. » Une intervenante reprend l’idée d’une parole trop longue et filmée en continue. « Oui mais toi tu réagis par rapport aux modes d’interviews d’aujourd’hui, où il y a beaucoup de montage, de « cut ». Là c’est du cinéma direct, le cinéma vérité, c’est sans artifice, sans mise en scène – qu’il est important de révéler. Et le film il s’adresse aussi à l’intelligence du spectateur. »
Sur cette même séquence, Charlotte Deweerdt interroge la salle sur l’absence de sous-titre sous le témoignage de cet homme mauritanien qui s’exprime en langue arabe. « Ça permet de se concentrer sur son visage ! » tente de placer Téva, en fond de salle. « Oui et ça place le spectateur dans la position d’un immigré qui arrive dans un pays et qui ne comprend pas la langue reprend une voix dans les rangées du milieu . Med Hondo laisse la place à la voix, au récit. On est obligés de l’écouter, on a accès à sa langue, à son visage. La rencontre est plus profonde. »
Perspectives
A l’issue des débats, les élèves abhorrent des visages ravis. Un temps de lecture de textes par des élèves du lycée Montgrand, en arabe et en français, et leur professeure Rime El-Hossamy ouvre sur d’autres prises de parole sur les résonnances actuelles de l’œuvre de Hondo. La relative aridité du film a finalement donné lieu à un échange fourni. La découverte d’une manière de filmer, de monter les images (en moyenne, un plan en cinéma – ainsi que dans les vidéos de presse – ne tient pas en moyenne plus de 7 secondes) ont pu surprendre mais ont été décryptées avec le jeune public. « C’était beau » entend-on en sortie de salle. La parole frontale se répand dans les esprits et donnent des perspectives nouvelles. « Ce serait formidable de lire des extraits de James Baldwin ou de Frantz Fanon lors de ce type de séances de ciné » propose-t-on à l’intervenante d’Aflam.
C’est peut-être ça aussi la force du cinéma de Med Hondo : donner des envies d’agir. Des envies de lire. Et de continuellement faire découvrir cette voix dissonante du cinéma. Cinquante ans après, le cinéma de Med Hondo a (re)débarqué à Marseille.
S.C.